Techniques mentales pour 102m par William Trubridge

Ce 3ème article continue la série sur le mental. Nous avons vu comment créer sa bulle en compétition, puis comment calmer notre mental avant une performance, en gagnant notre jeu intérieur. Dans la même veine, je vous propose une traduction française de l’article publié par William Trubridge (le new-zélandais multiple champion du monde et recordman du monde en apnée profonde) sur son site web personnel : Techniques mentales pour 102m.

Trubridge

Introduction

Dans cet article, William Trubridge revient sur les éléments mentaux qui lui ont permis d’établir ce  nouveau record du monde de profondeur en apnée en poids constant en sans palme à 102m le 25 Juillet 2016 (102m à la brasse, aller retour).

Trêves de bavardages, place au « King » et merci William Trubridge pour ton autorisation de traduction de ce superbe texte.

Traduction : Techniques mentales pour 102m

C’était la première plongée en brasse au delà de la moitié du « Dean’s Blue Hole ». 55 fois la taille de mon corps ou encore 9m de plus que la hauteur de la statue de la liberté. Cela fait 2040 jours (5 ans et demi) depuis le précédent record. C’était sûrement la plongée officielle la plus dure que j’ai accompli.

Après l’échec de la tentative Steinlager en décembre 2014, j’ai fais une promesse à mes supporters en Nouvelle Zélande : « La prochaine fois sera différente ». C’était facile à dire à ce moment là, mais à mesure que la date de ma nouvelle tentative approchait, je perdais cette prétention de réussite.

Initialement c’était planifié pour Mars (2016), mais courant Février je n’étais toujours pas aux profondeurs désirées. Nous avons donc décidé de reporter ma tentative à juillet. Cela signifiait que j’allais concourir au Vertical Blue (VB) et à la Caribbean Cup et qu’ensuite j’aurais 6 semaines avant la tentative de record. Juste avant le VB, j’ai finalement trouvé l’état de forme dont j’avais besoin. Il en résulte 2 records du monde en FIM. Ma bonne étoile est restée avec moi dans la Carribean Cup à Roatan ou j’ai validé la plongée la plus profonde jamais faite en CNF lors d’une compétition officielle et le 1er 100m dans cette discipline en dehors du Dean’s Blue Hole.

Retour aux Bahamas, et pour ces 6 semaines, j’ai continué dans ma progression en profondeur. Mais voilà, j’avais atteint l’inévitable plateau de performance suivi de douleurs déroutantes et maladies diverses. Mes jambes étaient lourdes et fatiguées même lorsque je restais allongé. L’acide lactique présent dans mes muscles après les entraînements profonds aurait pu être utilisé pour remplir des batteries de voiture et, pour la première fois, après plusieurs mois de plongées à mes profondeurs maximales j’ai fait une syncope en surface.

Il était clair que ma phase d’affûtage s’était trop étirée dans le temps et mes performances étaient en déclin. Certes, mon corps était encore capable d’effectuer une plongée à 102m mais j’allais devoir utiliser toutes les ressources et stratégies mentales à ma disposition pour m’assurer que le jour de la tentative je serais frais et concentré.

En tant qu’apnéistes nous devons développer un arsenal de techniques mentales pour toujours garder un cran d’avance sur les caprices primaires de notre esprit.

Voici les six techniques que j’ai adopté ou développé exclusivement pour cette tentative de record :

1 – MAINTENANT EST TOUT – NOW IS ALL

A la Caribbean Cup au Honduras en Mai, j’ai passé énormément de temps à travailler mon habilité à rester uniquement concentré sur le moment présent.

Ce n’est pas une tâche facile, que ce soit en apnée ou dans la vie en général. C’est tellement facile de laisser son flux de pensées vous balader dans un marécage de spéculations concernant ce qui pourrait ou non arriver dans le futur.

J’appelle ceci « le scénario pensant » et quand une tentative de record du monde pointe à l’horizon cela peut affecter chaque heure de votre journée. Encore et encore tout le long de la journée, le subconscient vous amène des questions : Qu’arrivera-t-il si je bas le record ? Ou si j’échoue ? Que devrais-je raconter à mes sponsors, ma famille, mes amis ? Le plus bas vous irez dans le terrier du lapin, plus l’arbre des possibles sera important. La plupart de ces « possibles » n’arriveront jamais, mais la réalité fait que tout ce processus cérébral ajoute un stress lattant et permanent et nourrit un cercle obsessionnel avec le futur.

Quel est le remède à cela ? Ramener gentiment son esprit à une prise de conscience du moment présent et à ce que l’on fait à ce moment là est la solution que j’ai choisie. Si j’étais en train de préparer mon petit déjeuner, de mettre ma combinaison d’apnée ou en respiration de surface avant ma plongée, j’autorisais l’action en cours à occuper l’entièreté de mon esprit.

Quand je ressentais le besoin d’imaginer ces futurs possibles je me disais à moi même que j’aurais largement le temps de considérer tout cela après ma plongée. Le mantra que j’ai créé au Honduras et utilisé les mois qui ont suivi était «  What is now is all » ou « Ce qui se passe maintenant est tout », je l’ai contracté en « Now is all » « Maintenant est tout ».

Le jour de ma plongée, à chaque fois que je me suis senti partir sur la pente glissante des « scénarios pensants », je redirigeais gentiment mon attention sur le présent, après tout, le seul moment qui arrive vraiment est le présent.

2 – TOUT DE MOI – ALL OF ME

Trubridge

Quand nous nous entraînons, nous créons des habitudes et des modèles d’entraînement qui automatisent la pratique de l’apnée. Ceci est très utile pour éviter les écueils liés au besoin de prise de décision, mais cela peut également amener à un état de sur assurance et de de négligence.

Je savais que pour cette tentative de record, j’allais avoir besoin de toutes mes capacités. Tous les éléments qui « me » composent : mon corps, mon intelligence, mon inconscient et mon esprit (ou encore le feu intérieur qui me pousse à faire ce que je fais) devront fonctionner à leur plus haut niveau. Par conséquent, dans ma préparation mentale, je vérifie régulièrement chacun de ces éléments en boucle. C’est comme si ils étaient des personnes à part entière et je les avertis que j’aurais besoin d’eux et de toutes leurs ressources. Comme je le dis souvent à mes étudiants dans mes formations, vous ne pouvez aller jusqu’à l’arrêtoir et revenir en surface en vous servant uniquement de la force de vos muscles. De la même manière, vous ne pouvez pas le faire non plus en utilisant seulement la méditation. Les deux moteurs doivent utiliser l’ensemble de leurs cylindres et être alimentés par une motivation à toute épreuve.

Quand arriva le moment de la tentative de record, je me suis senti prêt et équipé avec tous les outils nécessaires et soigneusement préparés pour l’action.

3 – La vie marine – Sealife

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Dans les semaines qui ont précédé ma tentative, j’ai pris l’habitude de randonner en soirée sur les falaises calcaires de Long Island pour évacuer l’acide lactique de mes muscles et me rafraîchir les idées. C’était aussi pour moi le temps de réfléchir et de récupérer l’énergie de la mer. Ici, je profitais de la force de l’océan, de son énergie silencieuse et de sa force déployée contre les rochers, force transformée en embruns salés. Normalement, je laisse mon téléphone à la maison, mais ce jour là, il était dans ma poche. Il se mit à vibrer, et, sans réfléchir, j’ai lu la notification affichée (oui ma main a le vice du Smartphone comme vous !). Ce message venait tout simplement de Twitter, mais la manière dont il était tourné et le moment ou je l’ai reçu me marqua, ce message : « La vie marine te suit désormais » (Sealife is now following you). Je n’ai aucune prétention vis à vis de l’intérêt que pourrait porter la vie marine à ma brève et négligeable incursion dans le 1er pourcent de ses profondeurs. Mais moi, j’ai de l’intérêt pour elle et je sais que chacun de mes succès en apnée me donne plus de pouvoir et d’effet de levier pour influencer en son sens. « Fait le pour les océans » est l’un de mes plus gros éléments moteur et le fait que peut être la vie marine avait remarqué mes efforts stimulait encore plus cette motivation.

4 – Lumière orange – Orange light

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J’ai tendance à intégrer dans ma pratique et mon entraînement des concepts, des éléments et des exercices issus du yoga et du zazen. L’un d’entre eux, est un exercice de Qi Gong de visualisation d’une boule d’énergie. Celle-ci est créée avec des mouvements précis pour ensuite être stockée dans le corps. J’imagine cette énergie comme une lumière orange, surtout que le orange est la couleur complémentaire du bleu de l’océan. Je me dis que cela m’aide à rester en équilibre vis à vis du temps que je passe dans l’eau. Après l’avoir formé comme une boule de neige avec mes mains, je visualise son stockage entre mon nombril et mon périnée (ce que les arts martiaux orientaux considèrent comme le siège de l’énergie du corps) dans le but d’y accéder uniquement lors de la phase de remontée de ma plongée.

Est-ce que je crois à ce genre d’énergie ? Pas vraiment, mais je crois en ses effets psychologiques et sur les effets que peut avoir ce type de visualisation. L’intention et l’action créent des signaux dans notre subconscient qui peut-être nous aident à atteindre des états psychologiques plus élevés.

Ai-je autre chose pour vous convaincre ? Non. La fantaisie de savoir que j’ai un stock d’énergie disponible pendant ma plongée me donne juste le petit plus de confiance en moi nécessaire, et de la confiance, c’est de la confiance, même si elle est basée sur une illusion.

5 – Les nerfs ne sont pas réels – Nerves are not real

C’était un film assez basique, mais le discours de Will Smith sur la peur dans « After Earth » est une très bonne méthode pour s’en dissuader. Discours : « La peur n’est pas réelle. Le seul endroit où la peur peut exister est dans nos pensées concernant le futur. C’est une production de notre imagination nous amenant à avoir peur de choses qui n’existent pas dans le présent et qui n’existeront peut être jamais. Finalement, nous sommes proche de la folie. Attention à ne pas mal me comprendre, le danger lui est réel, mais la peur elle est un choix ». En apnée, la hantise est tournée sur la peur de l’échec et donc le stress avant la performance. Quand je sens les signes avant-coureurs du stress je ne les fuis pas. Plutôt, je cherche à l’instant présent ce qui est stressant. Quand je finis par ne rien trouver de gênant ici et maintenant, cela m’amène la confirmation que les nerfs ne sont pas réels. Peu à peu, plutôt que de rester à la merci de mes nerfs, je reprends le contrôle et les brosse dans le sens du poil en m’insérant cette pensée : les nerfs ne sont pas réels.

6 – L’autre extrême – The other extreme

Et même si les nerfs refusent d’être tamponnés « non réels », alors nous pouvons prendre le problème à l’envers. Dans une compétition ou une tentative de record, c’est globalement l’égo qui attend un résultat. L’échec en apnée signifie la syncope, à la surface ou juste avant lorsque le cerveau atteint son seuil de tolérance hypoxique (hypoxie) le plus bas alors que la plongée n’est pas terminée. Bien sur, ce seuil est à un niveau suffisant pour que le corps continue à assurer les fonctions vitales et que l’on rétablisse le système respiratoire en surface. Par conséquent, c’est moins la peur de la syncope que la peur de l’échec qui en résulte et qui va venir polluer la phase avant la plongée. Mais qu’en serait-il si c’était plus sérieux que cela ? Que ce passerait-il si ma vie ou d’autres vies étaient en jeu à l’issue de la tentative ? Que se passerait-il si il fallait impérativement que l’issue soit un succès ? Comparé à tous ces enjeux, la simple peur d’être embarrassée à l’issue de la tentative devient dérisoire. Je ne peux pas imaginer la quantité de stress supplémentaire à gérer que l’on aurait dans une telle situation, mais bon passons, je n’ai pas à expérimenter ce genre de situation.

Je maintiens juste cette idée suffisamment longtemps dans mon esprit afin de me rappeler en quoi ce record ou plutôt ce numéro de cirque n’est pas à prendre au sérieux. Comment il est stupide de laisser quelque chose d’aussi dérisoire affecter mon état émotionnel.

Et dans les mots immortels de Natalia Molchanova : « La naissance et la mort sont importants, mais les compétitions d’apnée sont juste des jeux pour adultes ».

Conclusion

Je remercie William Trubridge pour ce partage profond et intime. Il nous donne des clefs de travail et de progression qui lui ont permis d’atteindre le sommet une fois de plus. Je termine cet article par la vidéo du record. Pour information, la syncope en début de vidéo correspond à sa tentative ratée 2 ans avant.

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